claudialucia

http://claudialucia-malibrairie.blogspot.fr/

Depuis mon apprentissage de la lecture, les livres ont toujours tenu dans ma vie une place immense. J'ai ouvert ce blog intitulé Ma librairie pour garder le souvenir de toutes ces lectures, des émotions ressenties, des récits, des mots et des phrases qui m'ont marquée.
Le titre de mon blog est un hommage à Michel de Montaigne qui aimait à se retirer dans sa librairie (au XVIème siècle le mot a le sens de bibliothèque), au milieu de ses livres.
La librairie de Montaigne était située au troisième étage d’une tour de son château qui figure dans mon logo. Là, il lisait, méditait, écrivait. Là, il rédigea Les Essais.
Pour moi, comme pour lui, les livres : “C’est la meilleure des munitions que j’aie trouvée en cet humain voyage”.

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1 janvier 2011

Savoir perdre de David Trueba

Avec Savoir perdre, couronné par le grand prix national de la Critique 2008, traduit de l'espagnol par Anne Plantagenet en août 2010, l'écrivain, scénariste et réalisateur espagnol, David Trueba, brosse un portrait pessimiste et désabusé de l'Espagne et plus précisément de Madrid à notre époque.

Ce pays, nous le découvrons à travers quatre personnages principaux dont l'écrivain nous offre une tranche de vie qui s'étend sur une période d'un an environ. C'est le temps d'une année scolaire, celle de Sylvia que nous découvrons au lycée, deux semaines après la rentrée de Septembre au début du roman et que nous quittons en juillet, à la fin du récit, le résultat de ses examens en poche. Pendant ce laps de temps, ces quatre personnages autour desquels David Trueba brosse toute une galerie de portraits, vivent des moments fondamentaux de leur vie. Tous s'acheminent vers un échec qui les marquera irrémédiablement mais avec plus ou moins de cruauté. C'est le sens du titre : Savoir perdre, ce qui somme toute est une philosophie difficile que tous ne sauront atteindre. Si je vous dis que dans ce constat assez noir, seuls les jeunes gens s'en sortent vraiment, vous ne serez pas étonnés, je suppose. En effet, l'espoir réside encore dans la jeunesse et éclaire - même si ce n'est pas sans nostalgie- cette vision de la vie et de la société.


La découverte de la sexualité et de l'amour bouleverse la vie de Sylvia qui a tout juste 16 ans même si elle sait cet amour condamné d'avance et sans avenir. De plus, elle doit faire face au divorce de ses parents et gérer la solitude et les angoisses de son père Lorenzo, assister sa grand-mère Aurora dans la longue maladie qui amène inexorablement la vieille dame vers la mort. La jeune fille est sur le point de rater son année scolaire et au-delà son avenir qui paraît bien compromis mais sa maturité, son intelligence, son courage lui permettent de limiter les dégâts et de faire face. C'est un personnage intéressant malgré ses erreurs et ses mensonges, comme l'est d'ailleurs Aurora, sa grand-mère qui s'est dévouée à ceux qu'elle aime avec altruisme. Quant à la mère de Sylvia, Pilar, qui a choisi d'être heureuse en vivant un nouvel amour, elle vient compléter ces beaux portraits de femmes aux trois âges de la vie, ce qui introduit un peu d'optimisme dans le roman.

Ariel, le footballeur argentin qu'aime Sylvia, a vingt ans. Il a un côté touchant, un peu enfantin quand il reste seul à Madrid après le départ de son frère aîné. Le mal du pays, la solitude, la pression qui pèse sur ses épaules au niveau sportif quand la nécessité de gagner un match enlève tout plaisir de jouer, sont parfois trop lourds à supporter. C'est l'occasion pour Trueba de dénoncer ce milieu du football perverti par les sommes colossales qui sont désormais en jeu. Un milieu du fric sale où la parole donnée ne compte pas, où l'on peut rompre un contrat sans état d'âme, où chacun, du joueur à l'entraîneur en passant par toutes les personnes impliquées dans ce sport y compris la presse, ne pense qu'à s'en mettre plein les poches. Ariel aime sincèrement Sylvia même s'il est effrayé par son extrême jeunesse. Il essaie de l'oublier en côtoyant un monde factice, prostituées, groupies énamourées, filles superficielles uniquement préoccupées par le sexe et le paraître. C'est un milieu où l'on peut facilement être corrompu et perdre sa vie en beuveries et relations sexuelles sans lendemain qui laissent un arrière-goût d'amertume et de vide. Lui aussi va être perdant mais l'espoir lui est permis.

Les deux autres personnages sont Lorenzo, le père de Sylvia dont la situation est désespérée. A travers lui, nous côtoyons le monde des sans-papiers mais aussi de ceux qui exploitent leur misère et leur précarité! Enfin Léandro, grand-père de Sylvia et père de Lorenzo, incarne le naufrage de la vieillesse. Sa passion pour une prostituée au moment où la femme qu'il a aimée est en train de mourir ressemble à un suicide, une auto-destruction programmée. Il y perd non seulement son argent mais plus encore, sa dignité, son honneur, ses raisons de vivre. A travers Leandro et son enfance, Trueba présente les traumatismes de la guerre civile qui a marqué toute la société espagnole.

Le style de Trueba est sec, phrases courtes, nerveuses, souvent au présent de narration, comme si l'écrivain nous présentait un instantané, un tableau qui s'anime, là, devant nos yeux. Il s'agit d'un constat, d'un état de lieu sans concession. C'est un grand roman par l'ampleur de ses vues mais le refus de l'émotion, la distanciation voulue par l'écrivain font que le lecteur reste un témoin extérieur et n'est jamais vraiment partie prenante sauf, peut-être, mais seulement dans une certaine mesure, pour Sylvia et Ariel.

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28 novembre 2010

James Herbert : Magic Cottage

Depuis longtemps j'entends parler de James Herbert sans le connaître, cet écrivain dont The Sunday Time dit : "Eblouissant. Un Steven Spielberg littéraire", aussi ai-je décidé de lire ce livre Magic Cottage paru aux éditions de Bragelonne.

Un couple d'artistes - elle, Maggie, est peintre, lui, Mike, musicien- achète un adorable cottage dans le Hampshire pour fuir la ville de Londres et ses inconvénients. Si la charmante maison Gramarye se révèle d'abord idyllique, les choses vont bientôt se gâcher, le rêve devenir cauchemar. On se doute dès le début que cette secte de Synergistes installée tout près de Gramarye et son machiavélique gourou Mycroft en sont les responsables. Un duel qui se révèlera un combat entre le Mal et le Bien opposera Mike à Mycroft .


Ce que j'ai trouvé le plus original et le plus réussi dans le roman c'est d'avoir fait de Mike un poltron et non un super héros; il a peur de tout, de se battre avec plus grand que soi, des petites bébêtes grimpantes, de pauvres chauves-souris inoffensives. C'est vraiment un homme de la ville transplanté à la campagne comme un Martien sur la Terre. Ce qui fait sourire. Mais le sujet est mince et pour créer le malaise Hebert est obligé d'étirer l'action sans grande conviction. Le fameux cottage ressemble un peu trop au début à celui de la Blanche Neige de Walt Disney et la bataille entre Mycroft et Mike au dénouement, tous deux détenant des forces magiques, rappelle d'une manière puérile celle de Merlin l'enchanteur et de la sorcière dans le dessin animé du même nom! Le grouillement de vampires géants, de milliers d'insectes infects au milieu d'explosions de toutes les couleurs, de cadavre en putréfaction est franchement ridicule. C'est d'ailleurs le terme choisi par Hebert lui-même : "La situation était d'un ridicule achevé". Et c'est vrai, l'humour du héros tombe à plat face à ces tentatives avortées de convoquer pour nous la Magie.
Le style de l'auteur n'est pas à la hauteur du moins dans sa traduction française ni pour insuffler une poésie au récit, ni pour créer une noirceur qui nous emporterait, ni pour nous amuser franchement. Ainsi lorsque le spectre de la vieille dame rend visite à Mike et se transforme devant lui en charogne, on peut lire : "Ses chairs se sont affaissées, se sont mises à pendouiller... ".

J'avoue que je n'ai pas été très convaincue. Rien à voir avec un Tolkien qui dans le monde de l'imaginaire revisite la source des mythes, ni même avec Robin Hobb à l'imagination délirante et efficace.

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27 novembre 2010

La bascule du souffle, Herta Müller

Dans La bascule du souffle, Herta Müller écrit pour la première fois sur un sujet qui est resté longtemps tabou, l'internement, en 1945, dans des camps de travaux forcés russes, des hommes et des femmes appartenant à une minorité germanophone en Roumanie, pays qui jusqu'à sa capitulation devant la Russie en 1944 a soutenu l'Allemagne nazie.

Le personnage principal Léopold a dix sept ans. Il est envoyé en Russie où il restera cinq ans. Ces camps n'ont rien à envier aux camps de concentration nazis. Les conditions de travail à l'usine sont terribles, les conditions de vie des ouvriers aussi. Les prisonniers doivent survivre avec un ration de pain et deux soupes à l'eau claire par jour. La faim fait des ravages dans leur rang. Les internés souffrent des écarts de température excessifs entre l'hiver glacial et l'été torride contre lesquels rien ne les protège. Ils sont obligés de dépouiller les cadavres de leurs vêtements pour se protéger du froid. Le manque d'hygiène, les poux, les maladies, les accidents du travail achèvent les autres.

Le récit est raconté à la première personne par Léopold. L'homosexualité du jeune homme, à une époque où celle-ci entraînait des peines sévères en Roumanie et la mort dans l'Allemagne Hitlérienne, fait déjà de lui un être en marge, qui doit exercer un contrôle continu sur lui-même. Dans le camp, pour se protéger, il refuse tout sentiment, cherche à s'insensibiliser. Il ne pleurera que deux fois : la première, le jour où il reçoit une carte de sa mère avec la photographie d'un petit frère né après son départ; celui-ci semble l'avoir remplacé dans le coeur de sa mère qui n'a aucun mot d'affection pour lui. Et la deuxième fois, le jour de son retour au pays.

Le moyen le plus sûr de survie pour Léopold est sa manière de percevoir le monde. Les objets, la nature, les choses sont doués de vie : sa pelle en forme de coeur est vivante, "elle règne en maître. L'outil, c'est moi.". Elle collabore pour qu'il parvienne à pelleter. Le ciment est "fourbe", il guette sa proie, prêt à l'ensevelir dans le silo au moindre faux pas. La faim est omniprésente, elle se présente sous la forme d'un Ange. L'Ange de la faim donne de mauvais conseils : " pourquoi ne pas lâcher prise..." "il bouscule mon souffle. La bascule du souffle est un délire, et quel délire".
On doit résister à l'Ange de la faim, ne pas écouter ses propos insidieux; on doit lui répondre même lorsque sa chair fond, que l'on devient de plus en plus léger : " Mais je ne suis pas ma chair. Je suis autre chose et je ne vais pas lâcher prise".
C'est ainsi que le style de Herta Müller transfigure le réel, c'est ainsi que naît une poésie de l'horrible. J'ai été très sensible à cette transposition, à cette façon de prêter vie aux choses inanimées qui fait ressortir d'autant plus la déshumanisation des êtres vivants qui ont pourtant une grandeur certaine dans leur refus d'abandonner la lutte.
Cependant, il y a une telle froideur dans le personnage du fait qu'il crée volontairement une distanciation par rapport à ce qu'il vit, que l'on se sent extérieur au récit. Nous sommes placés en observateurs, nous sommes pénétrés par l'horreur du récit mais jamais nous ne sommes partie prenante. C'est ce qu'a voulu l'écrivain mais ce qui m'a manqué, à moi, lectrice, c'est l'émotion, l'empathie avec les personnages.

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26 novembre 2010

Bande de froussards de Maïté Laboudigue Editions Kaléidoscope

J'adore Bande de froussards! Ce délicieux album pour enfants de trois à six ans raconte l'histoire d'un petit lapin, Isidore. Celui-ci veut traverser les bois pour aller jouer avec, euh! B... que dis-je? ... avec son copain Albert mais ni Yoyo, ni Gudule ne veulent l'accompagner! Bande de froussards! Il faudra pourtant beaucoup de courage à Isidore pour affronter seul les dangers de ce voyage mais il y parviendra muni de son "épée magique", une belle fleur rouge qui deviendra un beau cadeau pour B... euh! mais chut, ne révélons pas les secrets d'Isidore!

Ce livre présente de très belles illustrations stylisées tant pour les personnages que pour la nature, forêt, champs, massifs de roses, aux couleurs vives, chaudes et colorées, sans mièvrerie aucune : un régal pour les yeux.
L'histoire, elle, est pleine d'enseignement mais sans insistance et lourdeur. Elle raconte que la peur est un sentiment naturel et que le véritable courage est de parvenir à la surmonter. Elle montre que l'imagination joue des mauvais tours quand elle nous fait voir des monstres là où il n'y en pas. Par contre, elle vient à notre aide et elle est même précieuse quand elle nous aide à affronter nos terreurs. L'intelligence et la ruse peuvent nous permettre d'échapper à la brutalité symbolisée ici par les chasseurs. Enfin l'amour donne des ailes et nous fait accomplir des prouesses!
L'album est si riche que l'enfant ne remarquera pas tous les détails la première fois; les illustrations des pages de garde nous permettent d'observer le territoire où se situe le récit comme s'il s'agissait d'une carte : Où sont les maisons de Gudule, de Yoyo et Isidore? Où habite Albert ? Retrouvons la petite maison de la forêt? et les deux arbres rattachés par un lien rouge?
il faudra le lire et le relire avec lui pour découvrir leur signification. Par exemple que porte Isidore à son poignet gauche et pourquoi? Qu'est-ce qui se cache réellement dans la forêt derrière les arbres?
Comme dans tout livre d'initiation, l'enfant s'identifiera au petit lapin. Lui aussi deviendra un preux chevalier, épée à la main pour rejoindre sa belle mais.. dans un pays où les armes sont des fleurs et où l'on préfère ignorer la violence!

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11 novembre 2010

David Peace : Tokyo ville occupée Rivages Thriller

Dans "Tokyo ville occupée", David Peace part d'un fait réel, le vol de la Banque Impériale à Tokyo le 26 Janvier 1948 qui entraîne la mort par empoisonnement de douze des seize employés. En effet, un homme se présentant comme médecin mandaté par le Ministère de la Santé leur ordonne de prendre des médicaments (du poison en réalité) pour lutter contre une épidémie.
David Peace va nous faire découvrir l'identité et les motivations de l'assassin non pas en en suivant le schéma classique d'une enquête policière mais en adoptant la structure du film du cinéaste japonais Kurosawa réalisé en 1950,"Rashomon". Dans ce film adapté de deux nouvelles de Ryunosuke Akutagawa, six témoignages donnent des versions complémentaires, parfois contradictoires, du viol d'une femme et du meurtre de son mari par un bandit de grand chemin. L'écrivain a vécu au Japon et on le sent imprégné par la culture japonaise qui va transparaître dans le style et les images.

Dans "Tokyo ville occupé", David Peace reconstruit les épisodes du massacre de la banque, les avancées ou les blocages de l'enquête policière en multipliant les points de vue, celui d'une survivante ou de l'assassin en passant par ceux des inspecteurs de police, des journalistes.... Il propose pour chaque récit une forme d'écriture différente : des notes à peine rédigées sur un carnet, des documents officiels, des textes proches du poème ou de chants funèbres. Parfois les pensées intérieures se confrontent à des données objectives. Cette construction du récit et les effets stylistiques donnent au livre un caractère étrange et fascinant.
L'arrestation d'un coupable acceptable aux yeux de la population met un terme aux enquêtes journalistiques et policières. Elle évite de révéler aux yeux du monde une vérité beaucoup plus horrible, un pan noir de l'histoire du Japon. Et pour les américains, qui sont au lendemain de la guerre jusqu'en 1950 les véritables maîtres du Japon, d'où le titre du roman, il s'agit de reconstruire un pays en s'appuyant sur ses anciens cadres fussent-ils des criminels de guerre.
Sous couvert d'un enquête policière, David Peace présente, comme dans tout bon roman noir, une vision critique de la société puisque les victimes sont toujours les faibles, les plus démunis alors que les puissants- même criminels- continuent de régner à l'image de l'empereur Hirohito.
Ce roman dérangeant tant au niveau de la structure que du fond est donc extrêmement pessimiste et noir. Il faut faire un effort pour y entrer et le lire lentement, en lui consacrant du temps, mais la récompense est au bout : la rencontre d'un véritable auteur.