La vie des Saints n'a pas toujours l'apparence de la sainteté. Effacée des "Confessions",Saint Augustin a vécu dans sa jeunesse en concubinage avec une jeune carthaginoise Elissa dont il eu un enfant Adeodatus; Dans ce roman, Claude Pujade-Renaud recrée le destin de cette femme, une vie dans "l'ombre de la lumière". Dans un monde tumultueux, on suit le couple de Carthage à Thagaste, de Rome à Milan au gré des ambitions d'Augustinus, partageant la même foi manichéenne, un amour puissant et libre. Pourtant,l'enseignement de Saint Ambroise, les manœuvres de Monica mère du jeune homme poussent celui-ci a répudier Elissa qui retourne seule à Carthage. De loin, elle suit le cheminement d'Augustinus vers l'exaltation catholique, son amour ayant peut-être "servi qu'a lui donner soif d'un autre amour". Toujours aimante, elle reste admirative de l'inquiétude, du travail et des succès du grand homme mais s'indigne de sa rigidité doctrinale, de sa sécheresse de cœur qui l'éloigne des hommes.
Si Claude Pujade-Renaud décrit admirablement les peines et les douleurs de la vie d'Elissa, on retient surtout la grâce avec laquelle elle nous transmet les beautés intemporelles de la douceur de vivre des pays du Sud. Les soirées amicales sur les terrasses, les sorties aux bains, les promenades dans les jardins, le goût des poires, des raisins et des figues, le travail du pain et de la terre, l'ombre des grenadiers, l'intensité de la lumière.

C'était le bonheur à Bordeaux pour un adolescent d'autrefois. Les mamans iradiaient de tendresse, les papas cultivaient la distance et l'autorité bienveillantes. Augustin Lajus est un enfant sage et heureux. C'est aussi un ado qui s'apprête à se dévergonder. Rebelle, beau et charismatique, Juredieu devient son "mauvais ange".Vite, il lui apprend qu'il faut dépenser son argent dans l'alcool et dans les filles. Le reste il faut le gaspiller. Les escapades nocturnes enfièvrent alors les deux garçons. "La vraie vie est ailleurs", la phrase de Rimbaud résonne chaque nuit dans leur tête. La conduite ordalique de Juredieu, les contraintes scolaires, la rivalité amoureuse les éloignent puis les retrouvent. L'amitié reste le plus fort ; le bonheur tranquille, voilà l'ennemi. Roman perdu d'un écrivain oublié, cette oeuvre "scandaleuse" nous séduit aujourd'hui par sa superbe langue classique. Dire le feu avec les manières.

Aujourd'hui en Suède, le roman policier est roi. A la demande insistante de son éditeur, le poète Jan Y Nilsson se lance dans cette nouvelle aventure. Premier polar donc et déjà un premier cadavre. On retrouve le poète pendu dans son bateau-logement. Suicide ou assassinat ? Dans une ambiance portuaire à la Simenon, B Larsson file une intrigue nourrie de mondes en conflits. La famille de la victime indifférente en opposition à son lectorat idolâtre ; l'absolue pureté de la poésie au regard du monde de l'édition vulgarisé par la finance ; l'urbanité silencieuse du poète confronté à la colère sociale révélée dans son œuvre. B Larsson joue habilement de la mise en abîme du roman policier dans le roman policier. L'art de parodier le roman noir pour mieux en sublimer la saveur.

"Quel roman que ma vie", s'émerveillait Napoléon au soir de sa destinée. J.M. Rouart retrace celle-ci sans arroser sur du mouillé ; c'est un Napoléon nouveau que l'on découvre. En trois parties, elles-mêmes divisées en courts chapitres comme autant d'instantanés de la vie intime de l'Empereur, cette biographie dévoile un Napoléon dans le doute, souvent dans l'irritation et la colère, parfois dans l'ironie envers lui-même,et plus curieusement dans le désespoir. On le suit ainsi en Italie, effondré par les nouvelles de l'inconduite de Joséphine à Paris, trop française pour un corse ; on l'accompagne dans son traineau en Russie fulminant par l'atmosphère de complot et l'impéritie de son entourage flairant la curée. Jusque-là, toujours, la chance lui permettait de rebondir...
Fervent, indifférent ou simplement curieux du personnage de l'Empereur, le lecteur aura ici la curieuse sensation de trouver chez ce despote un homme attachant.

"Peste et choléra" c'est la vie d'Alexandre Yersin,scientifique,aventurier et homme singulier.
Découvreur du vaccin contre la peste,ce collaborateur de Pasteur préfère rapidement s'éloigner des laboratoires parisiens pour une vie vagabonde qui le mènera jusqu'en Indochine.Curieux de tout, habile en affaires, solitaire mais riche de solides amitiés, Yersin cherchera toujours à s'échapper des rivalités nationales du monde scientifique. L'ombre de Pasteur, le fantôme de Rimbaud et de Loti, le commerce professionnel avec Roux et Calmette, l'amitié politique de Lyautey et P Doumer accompagneront à distance la vie du scientifique. Brillamment ressuscitée par P. Deville ;cette destinée - pourtant éloignée des arts et de la spiritualité - n'est pas sans grandeur.