claudialucia

http://claudialucia-malibrairie.blogspot.fr/

Depuis mon apprentissage de la lecture, les livres ont toujours tenu dans ma vie une place immense. J'ai ouvert ce blog intitulé Ma librairie pour garder le souvenir de toutes ces lectures, des émotions ressenties, des récits, des mots et des phrases qui m'ont marquée.
Le titre de mon blog est un hommage à Michel de Montaigne qui aimait à se retirer dans sa librairie (au XVIème siècle le mot a le sens de bibliothèque), au milieu de ses livres.
La librairie de Montaigne était située au troisième étage d’une tour de son château qui figure dans mon logo. Là, il lisait, méditait, écrivait. Là, il rédigea Les Essais.
Pour moi, comme pour lui, les livres : “C’est la meilleure des munitions que j’aie trouvée en cet humain voyage”.

Et autres lieux merveilleux

Les Arènes

17,00
Conseillé par
13 octobre 2013

La libraire de la pomme verte et autres lieux merveilleux

La librairie de la pomme verte, quel joli titre! Celui d'une des nouvelles écrite par Dave Eggers pour ce recueil de textes d'écrivains américains rassemblés par Ronald Rice et traduits par Hélène Dauniol-Remaud aux éditions Les arènes. Chacun de ces écrivains a été convié à écrire sur sa librairie préférée, une manière de défendre la librairie indépendante, la seule qui permet à la littérature de rester vivante, humaine, la seule qui laisse sa chance aux jeunes écrivains de percer, aux points de vue différents de s'exprimer, à la diversité des genres et des voix de tous les pays, bref! à la littérature de qualité de survivre.

En exergue une phrase de Walt Whitman : "Le commerce des livres est le commerce de la vie", précepte totalement oublié, il est vrai, par les ventes massives de livres dont s'est fait le champion Amazon qui est évidemment la cible principale de tous les auteurs qui participent à ce recueil.
A travers la description de ces librairies de rêve, que nous visitons à travers tous les Etats-Unis (mais il y en a une à Londres et une à Paris), c'est aussi un vibrant hommage aux libraires, à ceux qui savent porter haut leur rêve, souvent contre vents et marées, en faisant fi de l'enrichissement personnel. Un livre nécessaire, donc, et qui fait du bien car si vous n'avez pas trouvé la libraire de vos rêves dans la ville où vous habitez (et même pas de librairie du tout!), le combat pour la librairie indépendante vous paraît peut-être juste mais lointain.

J'ai trouvé les différentes nouvelles du recueil un peu trop répétitives même si elles peignent bien le charme de ces librairies et cela bien que nous soyons en présence de grands auteurs américains (l'occasion de s'apercevoir combien ils sont nombreux et malheureusement peu traduits en français donc inconnus du grand public).
Très difficile effectivement d'écrire sur commande : quelle est votre libraire préférée? et d'être original puisque les points communs de ces lieux extraordinaires sont les mêmes : conviviaux, chaleureux, ils rassemblent tous les amoureux des livres (l'impression d'être entre amis), offrent un fouillis désordonné ou ordonné selon une logique délicieuse qui reflète l'esprit du maître du Temple; ce sont tous des endroits où vous êtes accueillis par des libraires à la fois cultivés, puits de science, humains, charismatiques, qui prennent le temps de vous connaître et sont heureux de vous voir! D'où l'impression d'une certaine lassitude à la lecture de toutes ces nouvelles quand on ne connaît pas les librairies en question.
Le style est dans l'ensemble assez classique sauf pour quelques uns qui se différencient des autres par l'humour comme Meg Wayte Clayton qui se décrit pleurant toutes les larmes de son corps à la vue de son premier livre dans sa librairie préférée ou Rick Brags à qui elle permet de fuir les chats qu'il déteste alors que sa femme les adore; par un ton volontairement provocateur comme Tom Robbins pour qui la librairie a permis de réaliser un de ses fantasmes les plus fous, ou Chuck Palahniuk qui décrit l'enfer de la promotion d'un livre; un point de vue tout à fait original comme celle de Ann Haywood Leal , auteur de livres pour enfants et institutrice, qui raconte comment un de ses élèves de milieu défavorisé a trouvé le livre idéal grâce à son libraire.
Enfin, un des autres intérêts du livre est de pouvoir servir de guide. S i vous avez l'occasion de voyager aux Etats-Unis, emportez-le car, s'il y a une chose qui est réussi dans ce recueil, c'est l'envie qu'il suscite d'aller voir toutes ces belles librairies. Quant à moi je commencerai par celle de Paris que vous connaissez certainement : Shakespeare and Company dont parle Emily St John Mandel.

ET voici pour finir le beau texte de Tom Robbins qui est une déclaration d'amour aux vraies librairies :
"Baptisé dans l'encre, et emmailloté dans des langes de poussière, je suis l'un de ces types à qui une bonne librairie sert de temple, de sanctuaire, de bosquet sacré, de caravane bohémienne, de nigth-club à Tijuana, de parc de loisirs, de source de santé mentale, de camp de safari, de station spatiale et de champs de rêves intérieur.

22,00
Conseillé par
7 octobre 2013

McCann Colum : Transatlantic

Transatlantic, le roman Column McCann est conçu comme un puzzle dont les morceaux, en se mettant en place peu à peu, ne donnent l'image entière qu'à la fin, lors de la mise en place du dernier fragment. En effet, l'intrigue est complexe et le lien entre les personnages, nombreux, n'est pas dévoilé immédiatement. C'est ce qui fait la force du récit, ces allers-retours dans le temps entre plusieurs moments du passé et du présent, du XIX siècle à nos jours, mais aussi dans l'espace : de l'Irlande, terre maternelle, à l'Amérique, terre d'exil et d'adoption. Transatlantic, c'est ce passage de l'une à l'autre rive dans un sens ou dans l'autre dans un mouvement constant, une toile d'araignée complexe dont les fils qui ne cessent de s'entrecroiser finissent par former un dessin précis et réussi.


En effet, si Lily Dungan, petite bonne irlandaise, part en Amérique, dans le milieu du XIX siècle, pour échapper à l'humiliation de sa condition et à la misère et si sa fille Emily se fixe à Terre Neuve, les aviateurs John Alcock et Arthur Brown, décollent de ce dernier lieu pour atterrir en Irlande en 1919, à bord d'un ancien bombardier reconverti pour cet exploit extraordinaire en avion de la paix. En 1846, l'américain noir Frederick Douglass, ancien esclave, vient prêcher la cause de l'abolitionnisme à Dublin dans un pays en proie à la famine, déchiré par les conflits politiques et sa haine de l'Angleterre; à la fin des années 1990, le sénateur américain George Mitchell est à Belfast où il oeuvre pour la paix en Irlande du Nord au moment où y vivent Lottie et Hannah, les descendantes de Lily, retournées au pays.
C'est ainsi que Colum Mc Cann mêle habilement personnages fictifs et personnages historiques, les fait se croiser, et tisse, au fil de ces rencontres, la trame de l'histoire qui révèle les interactions qu'ils ont entre eux.

Mais paradoxalement, ce sont les personnages fictifs qui paraissent les plus vrais, les plus vivants, ce sont ceux qui nous touchent le plus par leur humanité. Les personnages historiques ont pourtant un destin hors du commun mais ils ne donnent pas cette impression de vie. Chacun pourrait être le sujet d'une histoire riche et passionnante surtout l'abolitionniste noir Frederick Douglass que j'ai envie, pour ma part, de mieux connaître tant sa vie est étonnante, exceptionnelle. Mais le roman les présente trop rapidement et nous restons sur notre faim avec l'envie d'en savoir plus sur eux. Peut-être faudrait-il connaître leur parcours mieux que je ne le fais pour apprécier leur apparition dans le roman? Il semble que l'écrivain n'ait pas pris assez de liberté avec l'histoire pour en faire des êtres de chair et de sang; ils restent en dehors, des figures exemplaires plutôt que des participants à l'action. Alors que ces femmes courageuses, nées sous la plume de l'écrivain, Lily, Emily, Lottie et Hannah, éveillent notre sympathie, elles qui souffrent, victimes de la famine, l'exil, la guerre, le deuil, la perte d'un fils, pour l'une pendant la guerre de Sécession, pour l'autre dans les conflits de l'Irlande du Nord… En rencontrant ces femmes, le sentiment de ne pas être concerné, pendant une bonne partie du roman, s'efface peu à peu, surtout avec le dernier récit, poignant, d'Hannah et son dénouement si profondément nostalgique.

Il n'existe pas d'histoire qui, en tout ou en partie, ignore le passé. Le monde a cela d'admirable qu'il ne s'arrête pas après nous.
Même si j'ai aimé l'habileté de sa composition, Transatlantic ne m'a donc pas entièrement séduite. Je n'ai adhéré qu'à une partie de l'histoire, celle qui est de l'ordre de la fiction, les personnages historiques paraissant étrangers à l'univers romanesque de l'auteur.

roman

JC Lattès

20,00
Conseillé par
6 octobre 2013

180 jours d'Isabelle Sorente

"Alors comme ça, Enders, vous vous posez des questions. C'est mon métier, ai-je dit à Legai. Il m'a jeté un coup d'oeil ironique. Il paraît que les gens qui se posent trop de questions sont moins heureux que les autres… Et vous croyez qu'on est heureux en faisant semblant de ne pas s'en poser? J'ai jamais dit que j'avais la recette, a soupiré Legai."

Je ne sais si 180 jours d'Isabelle Sorrente aura un grand poids dans la rentrée littéraire 2013 car le sujet est loin d'être souriant et risque d'en rebuter plus d'un! Mais ce que je sais c'est que ce livre est un coup de poing, qu'il présente écriture puissante qui m'a interpellée et qu'il pose des questions fondamentales sur l'humain et sur la vie en général.

Le thème
180 jours, c'est le temps qui sépare la naissance d'un porc de sa mort dans l'abattoir. Martin Enders, professeur de philosophie, a tout pour être heureux dans la vie, sa réussite à l'université, son amour pour sa femme Elsa, journaliste, son admiration pour son mentor, collègue et supérieur hiérarchique, le brillant Dionys Marco. Pourtant le jour où la fille de Dionys, Tico, vient, avec la dureté et l'intransigeance de la jeunesse, dire son indignation devant les gens indifférents aux souffrances des animaux, elle va déclencher un séisme dans sa vie. Peu de temps après Marco envoie Martin faire une enquête dans une porcherie industrielle afin de préparer un séminaire philosophique sur l'animal.

Un roman beau et bouleversant
Voilà pour le thème! NON, le livre de Isabelle Sorente n'est pas un documentaire (même s'il est très documenté), non ce n'est pas une démonstration partisane (même s'il vous bouleverse), ni un essai pour vous culpabiliser (même si vous ne vous sentez pas bien). Il s'agit d'un Roman écrit d'une plume vigoureuse et sans concession, qui vous tient en haleine, avec des personnages auxquels on s'attache et dont la psychologie complexe, sans manichéisme, évite au roman schématisme, mièvrerie et bons sentiments. Et si 180 jours parle de la souffrance animale, s'il explore la frontière fragile et poreuse qui sépare l'humain et l'animal, c'est aussi un livre sur les rapports entre les hommes, la souffrance d'être différent des autres, les affres de l'adolescence, l'amitié, la solidarité, l'amour et, bien sûr, face à la mort omniprésente dans le récit, une réflexion sur la vie.

Les personnages
Il n'est pas étonnant qu'Isabelle Sorrente ait choisi pour personnage principal et narrateur un professeur de philosophie Martin Enders. Quelqu'un dont c'est le métier de poser des questions :
"Je m'intéresse à l'automatisation des actions humaines, explique-t-il à Jean Legay, le PDG de l'entreprise industrielle. Celles qui autrefois reliaient les hommes à la nature n'échappent pas à la règle, alors je voudrais savoir si les rapports avec les animaux sont encore possibles ou s'ils sont voués à devenir entièrement mécaniques."
C'est en rencontrant Camélia, le porcher, qui a su rester humain malgré son travail, avec lequel il se lie d'amitié malgré la différence sociale, que Martin effectuera cette descente aux Enfers. Accession à une connaissance qui va bouleverser sa vie. Il subira ce que les employés de la porcherie appellent le Jet-lag quand ils sortent de leur lieu de travail, semblable au décalage horaire vécu lors d'un voyage en avion, le décalage entre l'extérieur et l'intérieur des bâtiments, l'impression de devoir réajuster deux réalités qui n'ont rien de commun et trop souvent le sentiment de ne pas y parvenir.

L'élevage industriel, miroir de notre monde
L'élevage industriel est une entreprise d'anéantissement à une telle échelle- quinze mille têtes- qu'il est difficile sinon impossible d'en sortir indemne lorsqu'on en est le témoin ou quand on y travaille. Les méthodes qui y sont utilisées ont pour but l'extermination. Elles sont semblables à celles utilisées dans les camps de concentration même si elles s'appliquent à des animaux. L'homme pour parvenir à faire naître, vivre et mourir des animaux en une telle quantité se posent les mêmes questions que les nazis de la solution finale. Quand l'homme en arrive pour se nourrir à une telle déshumanisation, quand l'animal n'est plus qu'une "viande sur pattes", qu'il est entièrement "désanimalisé" (si je peux risquer ce néologisme), et qu'il souffre physiquement aussi bien que psychiquement, alors l'homme et la bête finissent beaucoup par se ressembler. Enfermées dans l'obscurité totale, dans un espace réduit, dans des conditions épouvantables, le porc a peur, tremble, gémit comme un enfant malade, pleure, hurle, refuse sa condition porcine, devient fou. Il faut des calmants pour le faire taire, son coeur peut s'arrêter de battre à tout instant. C'est avec un immense talent qu'Isabelle Sorente nous fait sentir cela. Elle amène son lecteur à glisser, par une gigantesque métaphore, de la porcherie à la "cage" où nous vivons tous, de l'Outil qui est la machine à débiter la vie des cochons, à la condition humaine, de l'abattoir à notre mort. La porcherie n'est qu'un miroir, le reflet de nous-mêmes. En nous parlant des porcs, c'est de nous qu'Isabelle Sorente nous entretient.

" Le nombre des panneaux Exit, où un type illuminé par une lumière verte court vers une cage d'escalier témoigne d'une foi aveugle en l'issue de secours. Mais dans la cage d'escalier qu'entend-on, si ce n'est le bruit régulier d'un moteur? Le bruit lointain de la chaîne d'abattage au bout de la route?"

C'est pourtant sur la vie que se termine le roman avec l'enfant que porte Elsa et que Martin, malgré sa lucidité exempte d'illusions, malgré sa peur, a fini par accepter.
"Bientôt tu porteras mon nom, je te parlerai comme on parle aux enfants. Comme s'il n'y avait pas de second stade au miroir. Comme si je n'étais pas un animal qui meurt. Est-ce parce que j'ai commencé à t'imaginer? J'aime écouter les rires qui éclatent sans raison, je me dis que toi aussi, tu courras après le pigeons, peut-être que tes cheveux seront roux, comme ceux de ta mère. Je ne passe nulle part sans observer les enfants. Il arrive que les plus jeunes se mettent à crier, sans raison apparente, dans une salle bien éclairée. Ils savent ce que cache le décor aseptisé, à quel prix se maintient la température de confort. Le hurlement étouffé par les mouvement automatiques. Même si personne ne l'entend, si personne ne le voit. L'Outil respire partout."

Une magnifique écriture
L'écriture d'Isabelle Sorente a parfois une telle puissance d'évocation qu'elle vous laisse pantois. J'ai été fascinée par certains passages qui sont des temps si forts dans le récit qu'après les avoir lus, on a besoin d'une respiration.

"Camélia a ajusté sa casquette, la visière à l'envers et il a crié : GARDE A VOUS! ET les deux cent soixante-quatre mâles se sont figés sur place. Ceux qui criaient se sont tus. Ceux qui étaient couchés se sont redressés, les combattants se sont séparés. Garde à vous! a crié Camélia. Le visage fripé, les oreilles tremblantes, ils clignaient des yeux comme des pauvres gars réveillés en sursaut. Camélia a fait quelques pas dans l'allée centrale, il a tourné sa casquette comme un béret grotesque, il a froncé ses sourcils en accent circonflexe : REPOS! Une onde de soulagement a traversé le troupeau, les deux cent soixante-quatre gars ont frémi, libérés d'un sortilège, les porcs ont recommencé dans leurs cases. Tout d'un coup j'avais froid, je me retenais pour ne pas claquer des dents, je tremblais comme un idiot qui a vu une apparition. Pourtant il faisait chaud dans le bâtiment D (Sevrage), le système de climatisation maintenait la température à vingt-cinq degrés. Tout va bien, Martin? a dit Camélia. Il avait repris son air désinvolte. Pourquoi tu as fait ça? Comment c'est possible? Ils comprennent tes ordres. Bien sûr que non, a dit Camélia, t'affole pas comme ça. C'est un phénomène que j'ai constaté, depuis le temps que je travaille à la porcherie, personne n'en parle jamais, toujours est-il que le porc se met au garde-à-vous devant l'homme."

Les différentes réactions face à l'élevage industriel : Vous reconnaissez-vous?

Voici les réactions par rapport à l'élevage industriel rencontrées dans le roman.

Ceux qui ont des intérêts économiques dans ce type d'élevage : Jean Legai
Ceux qui sont indifférents ou qui ne veulent pas savoir : la plupart des gens.
Ceux qui pensent que c'est dans l'ordre des choses, le plus faible doit être mangé, on n'y peut rien, les incapables de compassion, les infirmes de l'empathie : Elsa
Ceux qui disent, ce ne sont que des bêtes, les incapables d'imagination : Dionys Marco
Ceux qui s'indignent mais ne font rien, les imposteurs : Martin Enders avant de rencontrer Camélia
Ceux qui ont bonne conscience parce qu'ils sont végétariens : Anne
Ceux qui agissent, les indignés (Camélia, Tico, Martin) mais que l'on n'entend pas parce qu'ils se heurtent à des lobbies d'une puissance économique telle qu'il est impossible de les dénoncer d'autant plus que les gouvernements s'en font les complices : on sait combien nos gouvernants (écolos ou non) piétinent allègrement leur conscience (s'ils en ont une) quand l'intérêt collectif ou personnel est en jeu.
Les victimes : les porcs et les employés de la porcherie : Marina, le Boîteux, Camélia, Laurence, Jean-François ... et tant d'autres, porcs ou humains!

Histoire d'un asile et de ses pensionnaires, de Nerval à Maupassant

Folio

9,90
Conseillé par
17 juillet 2013

La maison du docteur Blanche de Laure Murat

Dans "La maison du docteur Blanche", Laure Murat retrace pour nous l'histoire de l'institution psychiatrique fondée par Esprit Blanche et reprise par son fils Émile, une célèbre clinique privée qui accueillit pendant une grande partie du XIXème siècle tous les grands de ce monde atteint de troubles mentaux, assez fortunés pour pouvoir y séjourner.
L'essai est donc passionnant car en s'appuyant sur les dossiers de la Maison du docteur Blanche, sur des archives, des lettres, des articles de journaux, Laure Murat reconstitue l'histoire de la folie au XIXème siècle, ses avancées mais aussi ses faiblesses et ses ignorances.
Le mot "psychiatre" n'apparaît qu'en 1802 et "psychiatrie" en 1842, mais, nous dit Laure Murat, "la libération des aliénés est l'acte fondateur à partir duquel la nouvelle discipline s'élabore et se pratique ". Philippe Pinel serait, en effet, à la fin du XVIIIème, celui qui libéra les fous de leur chaîne : "jusqu'alors à peine mieux considéré qu'un animal, créature du diable ou sorcier malfaisant, le fou commence à être regardé comme un malade. Avec la révolution il gagne un statut de "patient".

Mais si le XIXème siècle est un creuset bouillonnant quant aux recherches et aux théories qui s'élaborent sur les maladies mentales que l'on commence à nommer et à classer, les médecins sont bien souvent démunis devant les cas les plus graves. Les docteurs Blanche, père et fils, sont entièrement dévoués à leurs patients qui prennent les repas avec eux et avec lesquels ils vivent en famille mais la connaissance du cerveau et des troubles psychiatriques en est encore à ses balbutiements. Ainsi, le rapprochement n'est pas fait entre la terrible syphilis et la paralysie, les crises de démence et la dégénérescence qu'elle entraîne. D'autre part, bien souvent, Émile Blanche comme la plupart des médecins de son époque réagit lorsqu'il faut juger de la santé mentale d'une personne selon les préjugés et les principes religieux et sociaux de sa classe, bourgeoise et bien pensante. Ainsi certaines femmes (le cas n'est pas isolé) qui essaient de se libérer de la tutelle de leur père ou veulent divorcer de leur mari sont considérées comme anormales et enfermées dans un asile! Il vaut mieux aussi quant on est un fils de famille entrer dans le rang et obéir à son père, ce qui n'est pas le cas du fils de Jules Verne considéré pour cette raison comme fou.
De plus, cet essai nous fait rencontrer des écrivains et des artistes célèbres et ce n'est pas le moindre de ses intérêts car Laure Murat va à travers eux étudier les rapports entre la folie et la création artistique ou littéraire...
Un des premiers malades suivi par Esprit Blanche puis par Émile est Gérard de Nerval. Les registres de la Maison du docteur Blanche sont assez elliptiques sur son cas et c'est son œuvre "Aurélia", transposition poétique de ses troubles mentaux, de ses visions, qui est à la fois le meilleur "document scientifique autant qu'un monument littéraire, un témoignage autant qu'une œuvre d'art". Ce texte, les psychiatres du XXème siècle s'en serviront pour étudier "sous la prose poétique, l'intérêt clinique du récit".
Nous rencontrons aussi à la maison du docteur Blanche le musicien Gounod, au faîte de sa gloire, les Halévy, Marie D'Agoult, la comtesse de Castiglione, maîtresse de Napoléon III, Theo Van Gogh peu de temps après la mort de son frère Vincent. Nous assistons à l'horrible et lente agonie de Guy de Maupassant qui fut durant toute sa vie fascinée par la folie qu'il explore avec une triste prescience dans son œuvre. Toutes ces souffrances indicibles qu'aucun médicament ne peut soulager à l'époque font dire à Émile Blanche - et ce sont ces derniers mots : "Moi, j'ai trop vu de misères, je n'en puis plus".

J'ai beaucoup apprécié cette étude fouillée et complète sur la Maison du docteur Blanche et ses patients de 1821 à 1893, date de la disparition d’Émile Blanche qui n'a pas connu les débuts de la psychanalyse; une étude qui est aussi un témoignage historique traversé par les révolutions, la guerre franco-prussienne, la Commune, de la vie parisienne et de la société du XIXème siècle dans les milieux littéraires et artistiques.

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11 juin 2013

Les lavandières de Brocéliande Edouard Brasey

Avec Les lavandières de Brocéliande de Edouard Brasey nous explorons les contes et les croyances de la Bretagne traditionnelle. Le titre doit d'ailleurs son nom à la légende des lavandières de sang, ces femmes infanticides, qui reviennent après leur mort chaque nuit pour laver éternellement les langes ensanglantés de leur bébé. Malheur aux voyageurs attardés qui les rencontrent sur leur passage car ils seront eux aussi battus à mort par ces terribles spectres!

Le roman combine habilement l'évocation de ces légendes qui hantent la forêt de Brocéliande où à lieu l'action, dominée par les personnages d'Arthur, de la fée Morgane et des chevaliers de la table ronde et le récit policier, lorsque la légende et la réalité se confondent et débouchent sur un crime.

Qui a tué, en effet, la jeune Annaïg, retrouvée noyée dans le lavoir des lavandières du village de Concoret? Sa mère, Dahud, surnommée ainsi par allusion à la fille du roi d'Ys responsable de la destruction de la ville par l'océan, à moitié sorcière, accuse les lavandières du sang, venues au lavoir en cette nuit du Samain (La Toussaint). Gwenn, la jeune fille qui l'a trouvée, est suspectée. Loïc le charbonnier, bossu, dont tout le monde se moque et se méfie dans le village est lui aussi désigné par les habitants du village. Mais ne serait-ce par plutôt le jeune noble Philippe de Montfort qui aurait eu aussi des raisons pour se débarrasser de la jeune fille? De plus quel secret pèse sur la naissance de Gwenn et d'Annaïg?

Le récit se déroule sur deux périodes : En 1914, juste avant la déclaration de la guerre, lors des fiançailles secrètes de Edern de Montfort et de Solenn Josselin, en présence de leurs amis, à la fontaine de Baradon où la fée capricieuse et changeante exauce ou non vos voeux. Récit tragique qui s'interrompt pour celui d'une autre guerre celle de 1940-45 : occupation de la Bretagne par les nazis. Réfractaires au STO, résistants, nationalistes bretons, petits nobliaux terriens vivant encore dans un monde féodal, officiers nazis, SS, prêtres traditionalistes ou révoltés, sont confrontés à l'Ankou et à la malédiction jetée jadis par la fée de Baradon sur les protagonistes de l'histoire et leurs descendants. J'ai apprécié ce mélange des genres dans ce roman qui a le mérite de nous faire découvrir une Bretagne pas si ancienne pourtant mais encore bien ancrée dans ses superstitions, mais aussi dans sa foi catholique et son obéissance à l'église. Quant à l'atmosphère de la forêt de Brocéliande, elle est très bien rendue et l'on souhaiterait, à la suite de ce livre, partir à sa découverte!