claudialucia

http://claudialucia-malibrairie.blogspot.fr/

Depuis mon apprentissage de la lecture, les livres ont toujours tenu dans ma vie une place immense. J'ai ouvert ce blog intitulé Ma librairie pour garder le souvenir de toutes ces lectures, des émotions ressenties, des récits, des mots et des phrases qui m'ont marquée.
Le titre de mon blog est un hommage à Michel de Montaigne qui aimait à se retirer dans sa librairie (au XVIème siècle le mot a le sens de bibliothèque), au milieu de ses livres.
La librairie de Montaigne était située au troisième étage d’une tour de son château qui figure dans mon logo. Là, il lisait, méditait, écrivait. Là, il rédigea Les Essais.
Pour moi, comme pour lui, les livres : “C’est la meilleure des munitions que j’aie trouvée en cet humain voyage”.

Éditions de L'Olivier

22,00
Conseillé par
17 mai 2015

Les partisans de Aharon Appelfeld

Bien sûr, je connaissais Aharon Appelfeld de nom mais je n’avais rien lu de lui. J’avais tort! C’est ce dont je me suis aperçue en lisant Les Partisans, son nouveau livre qui va sortir sous peu le 21 Mai.

Ce roman puisqu’il s’agit d’une fiction est nourri des souvenirs de jeunesse de Aharon Appelfeld dont j’ai trouvé une intéressante biographie dans Esprits nomades. Ces faits biographiques sont importants pour la compréhension de son oeuvre
Appelfeld, né en 1932, a vécu à Jadova, près de Czernowitzl à la frontière roumano-ukrainienne. Dès l’invasion du pays par les roumains et les allemands, sa mère est tuée et les nombreux juifs qui habitent la région sont exécutés ou envoyés comme lui et son père en déportation. Très vite séparé de son père, il s'enfuit et vit seul, à l’âge de neuf ans, se cachant dans les forêts ukrainiennes, travaillant durement pour des paysans, des prostituées, des voleurs de chevaux et surtout taisant sa judaïcité à tous. L’antisémistisme virulent des ukrainiens en font les complices rêvés des nazis. Aharon Appelfeld dit que sa vie a été celle de l’enfant de « L’oiseau bariolé » de Jerzy Kosinki.
A treize ans, en 1944, il rejoint l’armée soviétique. Il arrive à Israël à l’âge de quatorze ans.

Les partisans

Dans Les partisans, Aharon Appelfeld nous fait partager la vie de juifs échappés d’un ghetto et cachés dans les montagnes ukrainiennes. Leur groupe qui réunit des croyants et des non-croyants, des membres du Bund et des Jeunesse sionistes, des communistes, tous anti-nazis mais très différents par leurs idées, des hommes de tout âge, des femmes et des enfants, sont étroitement liés par un sentiment de solidarité, de respect et d’affection. Les partisans s’organisent peu à peu, menant des escarmouches contre l’armée allemande pour s’emparer de munitions, se ravitaillant, par la contrainte des armes, auprès des fermiers hostiles, faisant sauter les trains de la Mort qui conduisent les juifs dans les camps de concentration. Leur groupe s’agrandit, les juifs échappés des trains, faibles et malades, venant rejoindre la troupe de combattants. Pendant que l’armée nazie mène la Grande Histoire en exterminant les juifs d’Ukraine qu’ils font disparaître dans des fosses communes ou dans les camps de la mort, c’est au Particulier que nous sommes confrontés dans le roman en assistant à la vie quotidienne de tous et en découvrant la personnalité de chacun..

Le narrateur est Edmund, un jeune de dix-sept ans, qui a fui vers les montagnes, abandonnant ses parents sur le quai de la gare en route vers les camps. Il est imprégné d’un sentiment de culpabilité qui ne le quitte jamais. C’est lui qui décrit le commandant Kamil, une belle figure d’homme et de chef que guide la foi; Il y a Karl, le communiste, qui ne peut supporter l’obscurantisme lié pour lui à la religion, mais qui lui aussi est conduit par cet esprit de solidarité qui ne le quitte jamais : il y aussi Tsila, la cuisinière dont chaque repas est un acte d’amour pour les autres, et la grand mère Tsirel, visionnaire, qui représente la foi et les tradition des ancêtres. Puis les enfants, Michael qui a neuf ans, l’âge de Aharon Appelfeld quand il s’est retrouvé seul, et le tout-petit Milio, si traumatisé qu’il a perdu la parole et sur qui veille son père adoptif Danzig, attentif à le protéger. Et bien d’autres encore qui nous deviennent proches.Comme Victor, l’Ukrainien, qui est venu les rejoindre parce qu’il ne supportait plus les massacres perpétrés sur les juifs par ces compatriotes nazis, et qui est lui aussi un personnage profondément humain.
C’est par l’amour, nous dit Appelfelfd que l’homme sera sauvé; chacun doit laisser de côté son égoïsme, ses motivations personnelles et se mettre au service de tous.

Tous ont subi des drames terribles, la perte de ses enfants pour l’une, de ses parents pour l’autre. Ce sont des être blessés, portant de lourdes souffrances, sujets à des moments de repli, d’écroulement moral, mais désireux, cependant, de maintenir en eux la part d’humanité, la dignité propre à l’être humain, de ne pas devenir des bêtes comme le voudraient les nazis :
"C’est pour cela que nous sommes ici " dit Kamil. "Nous allons conserver un visage humain, et nous ne laisserons pas le Mal nous défigurer » C’est aussi un sentiment que j’ai découvert chez Semprun et qui le guide et le maintient en vie dans les camps de concentration.

C’est ainsi que Aharon Appelfled nous fait comprendre ces gens qui ont vécu une telle tragédie et nous les fait aimer sans pourtant tomber dans le manichéisme :" Karl est debout, comme toujours, prêt à tendre la main une main ou aider un homme à se relever. Si tous les communistes lui ressemblaient, le monde serait sauvé sans délai. Au ghetto il y avait parmi nous des jouisseurs qui accumulaient la nourriture et se bouchaient les oreilles afin de ne pas entendre les gémissements de ceux qui mouraient de faim. Le Mal et la Cruauté qui nous cernaient s’était infiltrés en chacun de nous, seuls quelques élus n’avaient pas été atteints."

Le style de Appelfeld : le détour par la fiction

Le style de Aharon Appelfel est très simple, pur, concis, sans lyrisme ni pathos. Ce qu’il raconte est déjà si terrible qu’il n’y a rien à ajouter.
J’ai lu que, comme Semprun, et bien que venant d’horizons et de sensibilité très différents, il a cherché comment dire l’indicible, conscient qu’il fallait un autre langage pour en parler.

"Quand je suis devenu un écrivain et suis devenu conscient de mon écriture, je sus que je ne pouvais pas écrire des mots comme ils avaient été écrits auparavant. Vous ne pouvez pas écrire sur l'Holocauste de manière réaliste, vous ne pouvez pas en parler en termes sociaux, économiques ou politiques. Vous devez parler dans un nouveau langage. Et Kafka est le premier qui écrivit dans une nouvelle direction faite de réel et d'imaginaire. Kafka a sauvé mon écriture ".

Comme Semprun, Appelfeld préfère passer par la fiction plutôt que par le récit de sa propre vie parce que :
« La littérature ne doit pas essayer de retranscrire l'histoire mais de révéler la vérité au sein de la vérité. C'est la tension continue entre le particulier et le général qui donne l'œuvre. le particulier seul ne donne que la mémoire ou l'histoire. Le général seul ne donne que la philosophie ou la sociologie. Seule la confrontation entre les deux permet d'écrire. Mon particulier aura été la catastrophe, le ghetto, la forêt, la mort aux trousses. Le général pour moi est l'homme qui souffre et qui cherche l'amour. Pour moi les mots ne sont pas des pierres mais des êtres vivants » (Appelfeld juin 2011 à Toulouse).

Un beau roman,dans son apparente simplicité, et qui ne laisse pas indifférent .

Conseillé par
9 avril 2015

John Bull sur le Guadalquivir Anthony Trollope

Le recueil de nouvelles d’Antony Tropolle porte le titre du premier récit : John Bull sur le Guadalquivir.
John Bull, est la satire du britannique en voyage et de ce sentiment de supériorité qui le pousse à considérer les autres, en particulier les peuples latins, comme des êtres inférieurs C'est ce qui arrive à John Bull qui part rejoindre sa fiancée Maria. Celle-ci, anglaise par son père, vit en Espagne. Avec son ami Thomas qu’il a retrouvé à Cadix, John Bull embarque sur le Quadalquivir en direction de Séville. Sur le Vapeur, tous deux rencontrent un homme qu’ils prennent pour un toréador parce qu'il est affublé d’un costume ridicule à leurs yeux. Les deux amis font sa connaissance, soupesant les boutons en or de ses vêtements et se moquant entre eux de son accoutrement.. en anglais, bien sûr, puisqu’il est bien connu que les espagnols ne peuvent connaître cette langue. Bref! ils se conduisent comme de parfaits imbéciles.

Je ne vous en dis pas plus et vous laisse découvrir la déconfiture de John Bull, piètre représentant de la race anglaise pour qui l’on finit, eu égard à sa jeunesse et son humiliation, par éprouver malgré tout de la sympathie. C'est d'ailleurs lui qui est le narrateur et en ce sens il se révèle assez intelligent pour se moquer de lui-même! Les portraits de John et de sa fiancée, jeune fille fine, intelligente et ayant du caractère, sont plaisants. Le récit est plein de vie, d’humour et de gaieté et - si la chute n’est pas vraiment une surprise- la verve satirique et le mordant de Trollope sont réjouissants!

Les vestiges du général Chassé ou Mésaventure à Anvers est un peu dans le même veine même si l’histoire est très différente. Le personnage qui en fait les frais est cette fois-ci le révérend Auguste Horne, clergyman de l’église d’Angleterre ayant un certain faible pour la toilette. Ce détail a son importance puisque c’est ce qui va entraîner … sa mésaventure lorsqu'il va visiter la citadelle d'Anvers sur les traces du général Chassé! L’aspect satirique vire à la caricature dans le portrait de ce bon clergyman mais surtout lorsqu’il s’agit d’épingler un groupe d’anglaises en visite dans le musée. On s'amuse beaucoup des déboires du bon clergyman et du regard acéré que Trollope porte sur ses compatriotes!

La crique de Malachi est d’une autre veine. Le récit se déroule en Cornouailles, au pied de falaises superbes violemment frappées par la mer, entre Tintagel et Bosseney. Trollope y décrit le combat d’un modeste vieillard et de sa petite fille Mally pour arracher le goémon à la mer, leur seul moyen de subsistance. Et nous assistons aussi à la lutte qui oppose Mally à Barty Gunliffe, fils d’un riche fermier qui lui fait concurrence. La nouvelle vaut pas ses belles descriptions de la mer sauvage et du quotidien harassant des pêcheurs, par le caractère de ces personnages du peuple dont Trollope dresse des portraits pleins de vie.

Enfin la dernière nouvelle nous entraîne A cheval à travers la Palestine, un récit d’aventures qui réserve certaines surprises … romanesques! Mais le récit rompt très habilement avec les conventions du genre en ménageant une chute inattendue.

La lecture de ces nouvelles piquantes et pleines d'humour est vraiment très agréable. A savourer!

Conseillé par
9 avril 2015

Tom l'éclair

Le récit se déroule dans les années 60. Tom, un enfant surdoué, autiste,mal intégré dans une société qu'il ne comprend pas est isolé à l’école. Mais il découvre les comics américains pour lesquels il éprouve un véritable engouement. Le petit garçon s’identifie alors à ces héros dotés de pouvoirs infinis. Comme eux, il veut changer le monde; il va commencer par lui-même et découvrir comment se faire des amis, il transformera aussi la vie des autres en particulier de ses parents. Mais cela ne va pas sans quelques difficultés et même sans dangers car la vie n’est pas ne prend pas racine dans une bande dessinée.

Même si l’on comprend bien le parti pris de l’auteur de faire du petit garçon un super héros et de placer l’intrigue à mi-chemin entre réalité et univers de la BD, le résultat ne m'a pas convaincue. L’on ne parvient pas à croire à ce gamin surdoué, autiste certainement, bien que cela ne soit jamais dit, et qui parvient aussi facilement à surmonter son handicap. Cette hésitation entre réalisme et fiction m'a laissé un sentiment mitigé et une sorte de malaise par rapport au roman que j'ai jugé par moments trop gentil, trop conte de fées! Je ne suis pas parvenue à éprouver l'émotion. Il y a pourtant plein d’idées charmantes ou amusantes qui pourraient être bonnes mais qui sont contées d'une manière plate. La volonté, en effet, de conduire le récit à hauteur d’enfant, donne un style volontairement simplifié, faussement naïf, mais qui finit par être banal, sans ressort et sans vie.
Les thèmes sont bien de notre temps, autisme, Alzheimer, indépendance de la femme, chômage - de tout temps peut-être - mais le diagnostic de l'autisme actuellement n'est pas chose aisée et il l'était encore moins dans les années 60. Aussi le choix de cette époque paraît gratuit ou du moins n'ajoute rien à l'histoire. Je suis donc déçue et c’est bien dommage car j’avais aimé la légèreté, l’humour et la sensibilité de La petite cloche au son grêle.

Conseillé par
16 novembre 2014

"Une constellation de phénomènes vitaux, -organisation, irritabilité, mouvement, croissance, reproduction, adaptation", c'est la définition de la vie dans le dictionnaire médical des médecins soviétiques.
Chercher des définitions dans le dictionnaire, c'est ce que fait Natasha pour fuir ses souvenirs, traumatisée par la guerre en Tchétchénie et par son horrible expérience des réseaux de prostitution en Italie quand elle a voulu fuir son pays.
Antony Marra explore dans ce roman un pays déchiré par deux guerres depuis 1990. La première de 1994 à 1996 : lorsque la Tchétchénie se déclare état indépendant et souverain et refuse de signer le traité constitutif de la Fédération de Russie, elle est envahie par les troupes russes; la seconde de 1999 à 2009 (mais est-elle totalement terminée?) lorsque des chefs de guerre islamistes tchétchènes radicaux désireux de reconstituer le Caucase islamique en regroupant plusieurs républiques perpètrent des attentats en Russie et mettent à nouveau le feu aux poutres.

Le récit fait des va-et-vient entre les deux guerres avec des retours du passé au présent et du présent au passé. On y voit toute l'horreur des bombardements, la destruction systématique des villes, la pénurie dans les magasins comme dans les hôpitaux, mais aussi les exactions, les crimes de guerre commis par des combattants des deux bords fanatisés, qui n'ont que faire des droits de l'homme. Et entre les deux, la situation désespérée d'un peuple qui, s'il souhaite l'indépendance de son pays, n'adhère pas à l'islamisme vit dans la peur, la précarité.

Nous suivons la vie de ces hommes et de ces femmes pris dans la tourmente, s'attendant à tout moment à être dénoncés, arrêtés, torturés, tués, cherchant à subsister au milieu de cette boucherie. L'écrivain crée de beaux personnages, très forts, devenus hors norme bien malgré eux, tant il faut se transformer, se faire une cuirasse pour continuer à avancer. Il y a Sonja, médecin chef dans un hôpital déserté qui cache Havaa, une petite fille recherchée par les russes qui ont amené son père. Akhmed, musulman, un homme juste, mauvais médecin mais bon dessinateur qui a pris Havaa sous son aile et est prêt à se sacrifier pour la sauver. Khassan un professeur d'université, auteur d'un traité sur la Tchétchénie, père d'un fils devenu collabo.

Au milieu de cette désespérance, le récit aux fils embrouillés nous réserve bien des surprises : les personnages qui semblent n'avoir aucun rapport entre eux finissent par voir leur route se recouper.
Un thème, celui de la mémoire, de la lutte contre l'oubli, est récurrent car c'est pour les habitants, en effet, une manière de résister, de préserver leur dignité. La soeur de Sonja, Nastasha, dessine, avec le plus de réalisme possible, leur ville détruite sur les murs de l'hôpital pour donner l'illusion qu'elle est toujours là. Akhmed, lui, fait le portrait des disparus et l'accrochent aux arbres du village.
Malgré la mort qui rôde, l'écrivain introduit aussi des moments d'humour : l'infirmière Deshi déteste les hommes et en particulier les médecins depuis qu'elle a été trahie par un oncologue et terrorise Akhmed, le grand costaud.

En résumé un beau livre riche, avec des moments de pure poésie, où l'amour inspire des actes qui redonnent confiance à la nature humaine. Un sujet qui interpelle et qui ne peut laisser indifférent.

Merci à Dialogues croisés et aux Editions JC Lattès

22,90
Conseillé par
10 novembre 2014

Cataract City de Graig Davidson, une belle histoire d'amitié

Cataract City de Graig Davidson, c'est Niagara Falls, la ville des chutes. C'est là que vivent Owen et Duncan.

Duncan sort de prison où il a passé huit ans. Son ami d'enfance Owen vient le chercher. Commence alors un récit à deux voix où chacun va raconter son histoire mêlant passé et présent et divers temps intermédiaires. Et ce double récit nous donne à voir ce qu'est la vie dans cette petite ville industrielle de l'Ontario où il y a peu d'avenir pour les enfants qui y naissent. Peu d'avenir et aussi peu d'occasion de s'échapper. La ville, personnage à part entière du roman, exerce une sorte d'attrait négatif, entre amour et répulsion, qui freine l'initiative.

"Il m'était arrivé de haïr cette foutue ville. Le sentiment d'échec omniprésent me donnait la nausée, engendrait l'impression de vivre dans une prison aux murs élastiques.
Je finissais par la trouver sinistre et menaçante. Je n'aurais su dire en quoi précisément -comment une ville pourrait-elle être néfaste?"

Niagara Falls, je l'avais déjà rencontrée dans le grand roman de Joyce Carol Oates, Chutes, mais du côté américain. Le fleuve y exerçait un attrait puissant; il y était représenté comme une sorte de Dieu maléfique, une force démesurée. Oates y dénonçait non sans virulence la pollution des quartiers réservés aux ouvriers dont sont responsables des industriels criminels.
Pas plus que JC Oates, Davidson n'a l'intention d'entraîner son lecteur dans une visite touristique de la jolie cité "romantique" des voyages de noces, ni de brosser un tableau pittoresque du lieu. Si l'on y sent la présence du fleuve c'est pour évoquer les jeux d'enfance dans la rivière, où les trafics de contrebande sur les eaux gelés du Niagara en hiver et le bruit constant et obsédant des chutes qui crée un effet hypnotique..
En fait, Graig Davison s'intéresse aux milieux populaires, il nous parle de la dureté de la vie, du travail dans les usines ou les biscuiteries où chaque ouvrier est imprégné de l'odeur du biscuit, une ville où les distractions sont rares et les enfants peu poussés à l'étude. Si Owen, d'un milieu un peu plus aisé, a l'opportunité d'aller à l'université, Duncan, lui, est marqué par le déterminisme de sa classe. Mais tous deux, le hasard, la malchance, l'annihilation de la volonté aidant, vont être des victimes, des prisonniers de Cataract City qui ne laisse pas facilement échapper ses proies.

"Mon père comparait Cataract City à un réservoir d'air comprimé. La vie y est dure; d'une année à l'autre, les garçons deviennent des hommes, parce qu'ils n'ont pas le choix. La pression s'incruste dans les visages et les corps. On voit des gars de vingt ans aux mains noircies en permanence par la graisse pâteuse qui sert à lubrifier les rotatives de la Bisk. Certains sont déjà voûtés à trente ans. A quarante ans, ils ont le front plissé des séquoias. On n'a pas le temps de vieillir ici, on devient vieux avant."

Dans l'enfance, Owen et Duncan sont rapprochés par leur amour du catch et leur admiration pour un catcheur qui les entraînera dans une sombre aventure. Plus tard, chacun évolue dans une sphère différente, intellectuelle et aisée pour Owen; Duncan, lui, nous fait pénétrer dans des milieux interlopes, courses de lévriers, et combats de chiens, rencontres de boxe sans règles, organisées par un truand sans scrupules, l'indien Drinkwater. Mais ils sont toujours réunis dans les moments les plus difficiles de leur vie
Il y a des passages très forts, passionnants, dans Cataract City, même si mon intérêt pour le roman a été parfois inégal. Deux récits-clefs, haletants, où l'on ne peut se décrocher de la lecture, encadrent l'action : L'un au début du roman, celle où les deux enfants sont perdus dans un paysage hostile, dans des tourbières de fin du monde, en proie à la faim, à la soif, menacés par des bêtes sauvages et où ils luttent pour leur survie; l'autre à la fin du roman, une course-poursuite sauvage des deux personnages alors devenus adultes, une traque implacable sur les traces de Drinkwater, dans les mêmes paysages, cette fois-ci en hiver. Dans les deux cas, la mort joue à cache cache avec les héros, elle habille de sa présence menaçante chaque mot du roman. Si la première scène est un récit d'initiation violent, l'autre encore plus terrible provoquera un déclic pour Duncan. Les deux scènes forment une boucle, un recommencement qui amène pourtant au renouveau.

Je me suis demandé d'où venait parfois cette baisse d'intérêt de ma part. Je me suis aperçue que c'est lorsque Duncan part à la dérive et que nous sont décrits les milieux louches et crapuleux des combats de chiens ou d'hommes. Je pense que mes réticences viennent de mon refus de ces jeux de cirque violents et des personnages qui y participent mais que la qualité du roman n'y est pour rien.. Car les moments très forts, très puissamment décrits, abondent dans ces scènes de combats où tous les coups sont permis, où les parieurs sont avides d'argent et de sang versé. Si j'ai pu continuer ma lecture, c'est parce que Duncan reste toujours humain malgré ce qu'il fait : s'il est capable du pire, il l'est aussi du meilleur comme lorsqu'il sauve le chien blessé, par exemple, en mettant en péril sa propre vie; il est capable d'amour et d'amitié véritables et de compassion. Et c'est pourquoi, les personnages déchus - qui sont une constante dans l'oeuvre de Graig Davidson-, aussi bas qu'ils soient tombés, finissent toujours par se racheter. Graig Davidson est un écrivain qui croit en l'Homme malgré toutes les erreurs et les faiblesses dont celui-ci fait preuve. Il écrit ici une très belle histoire d'amitié.